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Un entretien avec Claire Auzias
La discrimination à l’œuvre
L’exemple des Roms, une ethnie a-territoriale
Article mis en ligne le 23 novembre 2009
dernière modification le 8 janvier 2010

Il n’y a sans doute pas aujourd’hui, sur terre, de peuple plus
méprisé et discriminé que les Roms. De la diabolisation absolue à
la fausse compassion, ces derniers font l’objet d’un rejet quasi total.
L’absence de territoire identifiable, une forme d’organisation sociale
atypique rendent les Roms définitivement suspects aux yeux de la
société globale.
Quant aux anarchistes, ils ne semblent malheureusement pas avoir
pris l’exacte mesure de la problématique rom, pourtant bien éclairante
quant aux pratiques de pouvoir.

Ethnie, peuple, territoire parlons, si tu le veux bien, de toutes ces notions pour
tenter une définition la plus juste possible des Roms.
Les Roms1 se sont définis eux-mêmes comme un groupe sans
territoire. Et moi, pour affiner leur propre définition, je les ai définis
comme une ethnie sans territoire.

Une ethnie, du grec ethnos (peuple) est une société humaine fondée
sur la conviction de partager une même origine et sur une communauté
effective de langue et, plus largement, de culture.
Une ethnie, c’est un peuple sans État2.

À la différence des Grecs qui ont
choisi de s’organiser en polis, les Roms,
eux, ont fait un choix différent.
Comme on utilise des notions de
politique générale, il faut revenir à la
source. S’opposent donc à l’État tel qu’il
a été défini depuis la polis grecque – qui
est d’ailleurs elle-même un ensemble de
polis, de petites cités qui se rassemblent,
avec un effet centralisateur – tous ceux
qui ne se reconnaissent pas dans cette
définition. Les ethnies notamment. Parmi
celles-ci, les Roms sont la principale,
d’Europe en tout cas.

Il y a dans le monde 400 millions
d’êtres humains qui appartiennent à une
ethnie, au sens anthropologique du
terme. Les Lapons, les Inuits, les Touaregs
par exemple. Parmi ces ethnies, certaines
ont un territoire sur lequel habitent des
gens qui veulent y rester, considérant
qu’ils y sont nés et que c’est à eux et chez
eux.

Certaines ethnies ont un rapport très
étroit avec la terre, le territoire. Cela
s’appelle des ethnies territoriales. Il y en
a beaucoup (les Amazoniens en sont un
bon exemple), mais il y a une seule
ethnie sur la terre qui soit une ethnie aterritoriale,
les Roms.

Affirmation qu’il convient, bien
entendu, de soumettre à l’épreuve de la
réalité, si on en découvre quelque part
d’autres.

Qu’appelle-t-on un territoire ? C’est
une notion dont la définition la plus
précise se trouve dans le jargon militaire.
Un territoire, ça appartient à l’armée : il
s’agit là d’une notion guerrière dont va
découler la notion d’État. Yves Lacoste3
avait très bien décrit cela.
On peut nous dire ou on peut penser
que ceux qui vivent dans un lieu ont un
sentiment subjectif d’appartenance à leur
territoire. Les Roms trouvent que le fait
que les autres aient un territoire suffit à
leur bonheur4. (rires)
Prenons l’exemple, symétriquement
opposé, des Touaregs. En vrais nomades,
ceux-ci se construisent un territoire qui
n’est pas l’État, qui n’est pas le pays où ils
sont nés, qui n’est pas un certain nombre
d’autres définitions administratives : le
territoire c’est l’espace où ils se meuvent,
lequel transgresse de fait les frontières
artificielles que sont les États. Mais ce
territoire a des limites, il est tracé, marqué
par exemple par la zone de pâturage
pour les troupeaux, les zones où l’on va
trouver de l’eau.

Chez les « gens du voyage », il n’y a
rien de tout cela. Ici ou là, c’est chez eux,
mais sous la forme d’utilisations temporaires
du territoire. Le territoire du Rom
c’est sa caravane, sa famille, sa civilisation
romani, sa musique, sa langue, sa revendication
de savoirs-faire qui lui sont
propres et qu’il tient avant tout à (sauve)
garder. C’est aussi le territoire où il y a du
travail à échanger avec le gadjo5. C’est un
espace vécu.
Pour les Roms, tout se passe à la
surface de la terre : la notion de sous-sol
n’existe pas pour eux, à l’inverse des
Touaregs qui, par exemple au Niger,
revendiquent par les armes la propriété
du sol et surtout du sous-sol riche en
uranium.

Le problème, c’est de pouvoir avancer,
rouler, circuler. Pour autant, même lorsqu’ils
acquièrent un terrain et deviennent
propriétaires, les persécutions se
poursuivent.