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Jean-Claude Michéa
De quoi le libéralisme est-il le nom ?
Conférence au Centre Ascaso-Durruti, Montpellier, novembre 2007
Article mis en ligne le 8 juillet 2009
dernière modification le 14 décembre 2009

Une stratégie politique radicale est vouée à demeurer
inefficace tant que ses cibles essentielles n’ont pas été
correctement identifiées. Or il s’agit là d’une tâche que le
développement de la société libérale a considérablement compliquée.
Le capitalisme contemporain, en effet, fonctionne désormais infiniment
plus à la séduction qu’à la répression (réalité que Guy Debord s’était
efforcé de saisir, en son temps, sous le concept de « société du
Spectacle ») [1]. Ce n’est assurément pas par hasard si l’industrie
publicitaire (à laquelle il conviendrait d’ajouter celle du divertissement
et des média) représente de nos jours le deuxième poste de dépense
mondial, juste après celui de l’armement. Et le contrôle quotidien que
cette industrie envahissante exerce sur l’imaginaire des individus
modernes s’avère à l’évidence autrement plus puissant que celui des
anciennes religions ou des vieilles propagandes totalitaires [2]. On nesaurait dire, néanmoins, que les
organisations qui prétendent aujourd’hui
encore « lutter contre le capitalisme »
aient pris, dans leur ensemble, la
véritable mesure de ces nouvelles
données. Il est malheureusement trop
clair que la résistance aux effets
psychologiques et culturels humainement
dévastateurs de la logique libérale, ne
constitue pas, à leurs yeux, une tâche
politique fondamentale (à supposer
même que cette tâche puisse avoir le
moindre sens à l’intérieur de leur
dispositif idéologique).

Il ne suffit cependant pas de
reconnaître que la « société du Spectacle »
est devenue la vérité effective du
capitalisme avancé. Encore faut-il en tirer
la conclusion logique et reconnaître que
ce dernier ne peut plus reproduire les
conditions présentes de son « dévelop-
pement durable » sans s’assurer en
permanence la complicité plus ou moins
active de chacun d’entre nous ; ou, en
d’autres termes, sans chercher à
transformer chaque sujet (en commen-
çant, de préférence, par les plus jeunes) [3]
en bourreau de lui-même, capable de
collaborer sans état d’âme (et parfois
même avec enthousiasme) au démon-
tage de sa propre humanité. Ce point est
d’une importance politique cruciale. Il est
impossible, en effet, de continuer à
réduire le système capitaliste développé à une simple forme d’organisation de
l’économie, dont il suffirait en somme,
pour la rendre humainement tolérable,
de « changer les modes de distribution et
les gestionnaires à l’intérieur d’un mode
de vie accepté par tous ses participants » [4].
Il constitue en réalité une forme de
« civilisation » à part entière, aux
ramifications multiples, et qui s’incarne
dans des manières quotidiennes de vivre, à
défaut desquelles la Croissance (autre-
ment dit l’accumulation du Capital)
s’effondrerait aussitôt. On soulignera, au
passage, qu’il semble très difficile de
prendre en compte cet aspect essentiel
du capitalisme contemporain, sans
réintroduire, sous une forme ou une
autre, le concept philosophique d’alié-
nation, concept dont chacun peut
remarquer qu’il a opportunément dis-
paru, depuis plusieurs décennies, de
toutes les grilles de lecture de la nouvelle
gauche (et donc également, par voie de
conséquence, de celles de la nouvelle
extrême gauche) [5]

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