Partant d’une critique du capitalisme et visant un changement social, Longo
maï, fondé en 1973, était alors très méfiant vis-à-vis de la mouvance
écologiste et des idées de « retour à la terre ».Pourtant, ses coopératives se sont
implantées dans des zones rurales, elles cultivent la terre et s’orientent vers
l’autosuffisance alimentaire et une production écologique. Quel est donc le
rapport entre les luttes politiques du mouvement et son côté « agroécologique
» ? Caroline Meijers, qui vit à Longo maï depuis vingt-cinq ans,
estime que ces deux engagements se complètent, car l’anti-capitalisme a inclus
dès le départ une réflexion sur une « micro-économie » qui garantisse
l’autonomie des producteurs et mette fin à l’exploitation du tiers monde, et
c’est une écologie structurelle qui est visée. Mais aujourd’hui, alors que
certains « Longo maïens » cherchent à mener ces deux luttes en s’appuyant sur
de larges alliances, d’autres misent surtout sur la construction d’une contresociété
en marge du système en place.
Un projet de changement social
La « Coopérative Européenne Longo maï » compte aujourd’hui dix
coopératives en Europe (plus un village au Costa Rica), où vivent
environ deux cents adultes et une centaine d’enfants et d’adolescents1.
À l’origine de ce mouvement, on trouve les groupes Spartakus, de
Vienne, et Hydra, de Suisse. Qui étaient ces deux groupes2 ?
Spartakus
En 1968, quelques amis autrichiens
fondent une section de jeunes du Parti
communiste autrichien, la Section VI. Ils
organisent des actions ludiques et
originales, notamment pour lutter contre
la privatisation des usines ou pour
dénoncer la situation scandaleuse
régnant dans de nombreux foyers de
jeunes ; ils réussissent ainsi à lancer un
débat public, ou contre la privatisation
des usines. En 1970, ils quittent le Parti
communiste, qu’ils jugent sclérosé, et
créent Spartakus, « organisation de
combat de la jeunesse ».Pendant l’assemblée
de fondation du mouvement, dans
le Land de Styrie, le camp où sont logés
les membres de Spartakus est attaqué
par des membres du NPD (parti
d’extrême droite). « Lorsqu’un peu plus
tard Spartakus est accusé d’être une
‘annexe de Baader-Meinhof’en Autriche
et que l’appartement à Vienne est attaqué
à la grenade, le groupe décide de quitter
l’Autriche et de rejoindre Hydra à Bâle3. »
Hydra
Dans le sillage de Mai 68, différents
mouvements contestataires se forment
dans les villes universitaires suisses,
notamment à Bâle et à Zurich. Hydra
était un de ces mouvements : il travaillait
selon des méthodes syndicales traditionnelles
pour soutenir les apprentis
rencontrant des problèmes avec leurs
patrons. Le groupe menait aussi des
actions moins conventionnelles, par
exemple, en 1972, contre l’initiative
populaire xénophobe dite « Schwarzenbach
», qui visait à expulser de nombreux
étrangers de Suisse4.
Hannes Reiser décrit comme suit la
rencontre entre les jeunes Suisses de
Hydra et les membres de Spartakus,
rencontre qui devait déboucher sur la
formation d’un seul groupe :
« À cette époque turbulente, quelques
amis de Spartakus de Vienne sont venus
à Bâle. Ils faisaient une sorte de « tour
d’Europe des endroits où ça bougeait ».
Ils ont présenté leurs expériences et leurs
actions militantes, qui étaient bien plus
attractives et plus proches de nos désirs
que les théories dont nous avaient parlé
les grands leaders étudiants venus
d’Allemagne pendant leur pèlerinage en
Suisse. Nous nous sommes sentis attirés
par ce collectif qui ne séparait pas la vie
privée de l’action politique. »5
Actions communes
Hydra et Spartakus cherchent à
rassembler des jeunes de plusieurs pays
lors de grandes rencontres et d’y inviter
des gens en lutte. Dans ce but, ils tentent
de créer des lieux de rencontre
permanents, qu’ils nomment les
« Villages pionniers ». Albert décrit ainsi
la naissance de ce projet :
« Nous avions suivi de près plusieurs
confrontations comme par exemple chez
les mineurs du Limbourg, les paysans
bretons, la grève des dockers en
Angleterre, etc. Nous avons constaté que
ces confrontations ne menaient à rien
dans l’immédiat. Nous avons commencé
à lire les utopistes du XIXe siècle. Lors
d’une discussion, l’idée de Longo maï est
née. Nous lisions les utopistes parce que
nous voulions trouver de nouvelles formes de vie commune. Le chômage
des jeunes pointait à l’horizon, il y avait
de moins en moins de perspectives. Au
lieu de monter sur les barricades avec des
revendications, nous voulions essayer de
réaliser nous-mêmes une forme d’utopie
sociale. »
Après les révoltes de 1968 et l’échec
des grands mouvements de grèves contre
la restructuration de l’économie mentionnés
par Albert, on trouvait deux
tendances nouvelles parmi les jeunes
révoltés : la lutte armée, avec la Fraction
armée rouge en Allemagne et les Brigades
rouges en Italie, et la tendance affirmant
que « la révolution commence par soimême
», qui a abouti au mouvement du
« retour à la terre ». Les jeunes de
Spartakus et de Hydra ont cherché une
troisième voie, qu’ils définissent euxmêmes
comme « indépendantiste,
autogestionnaire, bref révolutionnaire,
quoi ». Ils rejetaient la voie de la lutte
armée, jugeant qu’elle mènerait surtout à
la répression de ceux qui la pratiquent et
à la criminalisation des jeunes en général.
Ils refusaient aussi la voie du « retour à la
terre », en laquelle ils voyaient l’expression
d’une résignation et un prétexte « pour se
consacrer intensivement à son propre
nombril ». La création de coopératives
s’est ainsi présentée comme une
troisième voie : née du besoin d’avoir des
lieux de vie en commun permettant une
certaine autonomie dans la réflexion et
l’action politique, elle joignait réalisation
d’une utopie sociale et création de bases
de repli pour des militants engagés dans
une contestation politique du système
établi.
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