Introduction
De l’affaire Sacco et Vanzetti, Pa Kin [1] a tiré deux nouvelles, parues respectivement
en octobre 1931 et en novembre 1932, « Mes larmes » et « la
Chaise électrique » [2].
« Wode yanlei » [Mes larmes] a été rendue en français, sous le titre « Larmes », par
Nicole Dulioust et Bernadette Rouis : Pa Kin, le Secret de Robespierre et autres nouvelles,
Mazarine, coll. « Roman », Paris, 1980, pp. 67-86 (rééd. : Stock, coll. « La bibliothèque
cosmopolite », Paris, 1997).]]. Cette dernière, confiée initialement par son auteur à
Xiandai (les Contemporains), la revue des modernistes shanghaïens, était
à ce jour inédite en français.
Avant cela,Pa Kin avait consacré aux célèbres anarchistes italiens divers
articles, destinés notamment aux lecteurs de Pingdeng (The Equality), une
publication d’expression chinoise basée aux États-Unis, à San Francisco ;
et, en 1928, adapté dans sa langue l’autobiographie de Vanzetti, Une vie de
prolétaire, dont il proposera une mouture corrigée en 1935 qui fut rééditée
en 1940 et connut un autre tirage en 1947 [3]. En revanche, jamais il ne
parvint à réaliser le livre qu’il se promettait d’écrire sur eux.
Tout comme dans « Mes larmes », c’est principalement de Vanzetti qu’il
est question dans « la Chaise électrique ». Pa Kin, du temps qu’il séjournait
en France, avait brièvement correspondu avec lui, et le militant libertaire
qu’il est encore à cette époque vouait depuis à son aîné une admiration
sans bornes, proche de la dévotion. À preuve, le sous-titre en forme
d’hommage qui orne la version originale : « Xiangei yige shensheng jinian,
À la mémoire d’un saint. » Et si cette mention a été effacée des versions
subséquentes, pour des raisons qu’on ignore, Pa Kin n’en a pas pour
autant renoncé à la métaphore religieuse, comparant Vanzetti ici à Jésus-
Christ, et ailleurs au « Jésus de la légende ».
Mais l’affaire Sacco et Vanzetti n’aura pas seulement été pour Pa Kin
une source d’inspiration directe. Ses échanges épistolaires avec Vanzetti
ont produit sur lui une impression si profonde, et l’annonce de son
exécution a provoqué un choc si violent, qu’il en fut amené, presque à son
corps défendant, à composer son premier roman, Destruction3, une oeuvre
sur laquelle l’ombre du poissonnier, un de ses dédicataires, plane en
maints endroits, et qui décida de la carrière future de Pa Kin. L’intéressé
s’est expliqué sur ce point, à deux reprises au moins [4], et l’on observe que
chaque fois qu’il lui sera donné plus tard d’évoquer la figure de Vanzetti,
Pa Kin dira invariablement de celui-ci qu’il fut son « maître ».
Quand il achève ce récit bouleversant sur les derniers jours de
Bartolomeo, longtemps après la disparition de Sacco et Vanzetti (ils furent
électrocutés le 23 août 1927), Pa Kin n’a que 27 ans. En s’appuyant sur des
témoignages glanés dans la presse, et d’abord la presse militante [5], et par
un effort d’empathie, il s’attache à reconstituer l’état d’esprit du condamné
à qui une société inique s’apprête à ôter la vie. Ces lignes sont remarquables
par ce qu’elles révèlent du tempérament de Pa Kin alors, de la
colère qui l’habite, et surtout de son obsession de la mort, qu’il tentait déjà
de conjurer, en des termes presque identiques, à travers le personnage de
Du Daxin, le héros de Destruction. Il suffit de mettre « la Chaise électrique »
en regard des textes des recueils Au fil de la plume[[Voir, par exemple, Pa Kin, Pour un musée de la « Révolution culturelle » (Au fil de la
plume), textes choisis, traduits du chinois, annotés et présentés par Angel Pino, Bleu
de Chine, Paris, 1996.]], datés des années 1980,
où l’indignation est toujours aussi forte, mais le ton plus assuré et plus
serein, pour mesurer le chemin parcouru entre la révolte inquiète du
jeune Pa Kin et celle apaisée du vétéran des lettres chinoises.
Angel Pino
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