On trouvera dans ce texte quelques jalons très partiels (et peut-être partiaux) pour une histoire de la CNT, encore à écrire. En particulier, je me suis surtout ingénié à pointer les « commencements » qui expliquent les évolutions ultérieures. J’ai aussi parfois indiqué des événements extérieurs à la CNT mais qui ont influé sur sa trajectoire.
1866 : adoption des statuts définitifs de l’Association internationale des travailleurs (AIT), dite Première Internationale (congrès de Genève).
15 septembre 1872 : résolutions du congrès de Saint-Imier (Internationale antiautoritaire).
1895 : fondation de la CGT.
1921 : fondation de la CGT-U par les communistes et les anarchosyndicalistes.
Janvier 1922 : (re)fondation de l’AIT (congrès de Berlin).
Janvier 1926 : les anarchosyndicalistes (AS) minoritaires à la CGT-U
fondent la CGT-SR (syndicaliste révolutionnaire). Un grand nombre d’AS et de SR étant restés à la CGT et à la CGT-U, la CGT-SR ne dépassera pas les 5000 adhérents. Elle est partie prenante d’un grand nombre de conflits sociaux et apporte un maximum de soutien à la Révolution espagnole, tout en gardant une distance critique par rapport aux attitudes de la CNT espagnole (participation ou non au gouvernement).
1943-1946 : l’ensemble du mouvement ouvrier organisé (à l’exception de la CFTC) se regroupe dans la CGT réunifiée.
7, 8 et 9 décembre 1946 : excédés par la mainmise des staliniens sur la CGT, les AS et SR fondent la CNT, dans le prolongement de la CGT-SR. Un grand nombre de compagnons espagnols réfugiés la rejoignent tout en privilégiant la solidarité avec le mouvement libertaire clandestin en Espagne.
Au cours du congrès constitutif est adoptée la Charte du syndicalisme révolutionnaire. Une des phrases-clés est reprise de la charte d’Amiens :
« Le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale. »
Cette notion est présente dans les statuts adoptés lors de ce congrès (modifiés lors du congrès de novembre 1949) :
« La Confédération nationale du travail a pour but :
– De grouper, sur le terrain spécifiquement économique, pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux, tous les salariés, à l’exception des forces répressives de l’État, considérées comme des ennemies des travailleurs ;
– De poursuivre, par la lutte de classes et l’action directe, la libération des travailleurs qui ne sera réalisée que par la transformation totale de la société actuelle.
Elle précise que cette transformation ne s’accomplira que par la suppression du salariat, par la syndicalisation des moyens de production, de répartition, d’échange et de consommation, et le remplacement de l’État par un organisme issu du syndicalisme lui-même et géré par l’ensemble de la société.
La Confédération nationale du travail reposant sur le producteur, garantit à celui-ci la direction de l’organisation des travailleurs. »
1946-1952 : les effectifs de la CNT seront de même volume que ceux de la CGT-SR et, jusqu’en 1952, la CNT va animer quelques grands conflits sociaux (grèves chez Renault, Berliet, etc.). Elle est présente en particulier dans les secteurs suivants : bâtiments, métaux (200 adhérents en région parisienne) employés, santé, transports, rail, PTT, éducation, cuirs et peaux, mines, chimie, textile.
1952-1968 : comme beaucoup d’autres organisations (auberges de jeunesse en particulier), la CNT connaît au début des années 50 un déclin très important jusqu’en 1968. Pendant cette traversée du désert, une poignée de compagnons maintiennent l’organisation dans une vingtaine d’unions locales pratiquant une activité publique minimale : publications, soutien à des luttes sociales, concerts, conférences, manifestations de rue. Mais disparaissent (presque) les activités de sections syndicales en entreprises. Pendant ces seize années, un certain nombre de militants AS et SR estiment qu’il est plus efficace d’adhérer à des centrales réformistes (FO, FEN, CGT)
1968-1970 : les « événements » de mai 1968 réveillent la CNT, mais pour peu de temps.
1970-1977 : on constate une seconde traversée du désert identique à la première, période pendant laquelle la CFDT d’Edmond Maire capte un fort potentiel anarchosyndicaliste.
1977-1992 : À partir de cette période, on note un deuxième réveil que l’on peut espérer durable. Cette période se caractérisera essentiellement par la création de sections syndicales suivie ou précédée presque toujours par un conflit.
– 1977 : en Espagne, campagne de meetings monstres de la CNT espagnole (Madrid, Valence, Barcelone) ; tentative de regroupement AS+SR par la coordination nationale des anarchosyndicalistes (CNAS) ; exclusion de la 2e Union régionale (parisienne) de la CNT par le Bureau confédéral de Toulouse (ce groupe a maintenu jusqu’à ce jour une activité « limitée ». Son siège est situé au 39, rue de la Tour-d’Auvergne, 75009 Paris) ; parution hebdomadaire de l’organe franco-espagnol CNT-Espoir.
Incontestablement, la résurgence de la CNT espagnole redonne confiance à un certain nombre de militants AS et SR (dont évidemment ceux présents à la CNT française) dans la possibilité de constituer une confédération syndicale digne de ce nom.
– 1978 : création du Syndicat autonome des travailleurs (SAT) dans le centre de tri des PTT de Lyon-Montrochet.
– 1979 : grève aux Courriers du Midi (Arles) ; boycott des élections prud’homales et congrès, en décembre, de la CNT espagnole à Madrid. 1300 délégués représentant 240 syndicats, regroupant 300 000 affiliés dont 85 000 à jour de leurs cotisations.
– 1980 : l’union locale de Bordeaux solidaire de la grève des instituteurs (avril).
– 1982 : grève du SAT ; grèves aux cinémas Concorde et à la SAFT de Bordeaux ; campagne anti-élections prud’homales.
– 1983 : grève à la clinique des Orangers et chez les ambulanciers SOS-Bordeaux ; création d’une section syndicale à l’hôpital de Montauban ; (re)création du syndicat CNT-PTT, région parisienne, embryon de la future fédération CNT-PTT.
– 1985 : création d’une section syndicale à Liaisons sociales ; le SAT s’intègre à la CNT.
– 1987 : création de sections syndicales dans les sociétés Chassieu et Termoz (Rhône), au CHT du Havre ; manifestation devant le CAT de Saint-Porchaire (Charente-Maritime) ; boycott des produits Laura Ashley.
– 1989 : création de sections syndicales à la COMATEC (nettoyage du métro à Paris) et à la Cité des sciences à La Villette ; soutien aux grévistes de RUFA
(voirie de Caen) ; (re)création du syndicat éducation-RP, point de départ de la fédération des travailleurs de l’Éducation.
– 1990 : première apparition du « chat noir hérissé » dans le Combat syndicaliste (février) ; deuxième grève à la COMATEC ; premier « grand » défilé du 1er mai, la CNT seule (Barbès-Nation).
– 1991 : opposition à la guerre du Golfe (80 000 tracts distribués) ; création d’une section syndicale à la SPES (nettoyage, région parisienne).
– 1992 : création des sections syndicales à la FNAC et à MINIA Confection
(Paris) ; le groupement d’étudiants FAU (Formation action universitaire) composée en grande partie d’étudiants de Nanterre (Paris X) rejoint la CNT.
1992-1993 : crise de croissance. La CNT est un lieu de débats permanents. L’un d’entre eux se résume à la participation ou non aux élections professionnelles. Pour tenter de rapprocher des positions contradictoires, une motion de synthèse est adoptée lors du xxiiie Congrès confédéral de mai 1989 à Paris :
« Le Congrès ne reconnaît la pratique de présentation exceptionnelle, tactique et temporaire, à des élections professionnelles, que dans le cas où nos droits syndicaux ne seraient pas reconnus dans l’entreprise... »
Après deux ans de crise, une partie des adhérents de la CNT, refusant cette « pratique de présentation exceptionnelle » quitte la CNT au congrès de Paris des 6 et 7 février 1993. Cette minorité représentait la moitié des syndicats et le tiers des adhérents. La suite de ce texte ne concerne que la majorité issue de ce congrès, le groupe minoritaire ne menant alors qu’une activité symbolique.
1993-1995 : cette période est marquée par la troisième grève de la COMATEC en juillet 1993 (le soutien international a été de 66 000 F), la création de la section syndicale du CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) de Créteil, par les actions anti-CIP, par le premier défilé du 1er mai 1994 partant de la place des Fêtes et allant à la République et par la création d’une section syndicale chez Pouyet (connectique à Orly).
Mais cette période est surtout marquée par une présence très importante de la CNT dans les événements de novembre-décembre 1995. Cette présence crée une dynamique au sein de la Confédération avec l’arrivée de nombreux adhérents et la création de nombreuses structures syndicales sur l’ensemble du territoire français. Ainsi, pour la période 1996-2001, je me contenterai d’énumérer quelques éléments significatifs.
Juin 1996 : début de la défense du « 33 » (il s’agit du 33, rue des Vignoles, 75020 Paris, siège de l’union régionale CNT-île-de-France) menacé de démolition par le nouveau propriétaire, la mairie de Paris.
Décembre 1996 : congrès de l’AIT à Madrid. La minorité (du congrès de Paris de 1993) réussit le tour de force de faire exclure la CNT majoritaire par deux voix contre 1... (pendant la période au cours de laquelle les deux branches
cotisaient à l’AIT – mars 1993-décembre 1996 –, pour 100 F reçus pour la France par le trésorier de l’AIT, 80 provenaient de la branche majoritaire et 20 de la branche minoritaire). Cette décision absurde n’aura aucune influence sur le développement ultérieur de la CNT, aujourd’hui présente dans 52 départements par 110 syndicats.
Janvier 1997 : la députée UDF des Yvelines, Christine Boutin, intente un procès en diffamation au Combat syndicaliste... et le perd.
Mai 1997 : (re)création du SUB (Syndicat unifié du bâtiment), prélude au redémarrage de la fédération des travailleurs du Bâtiment (FFT-BTP-BAM) et de la chambre syndicale des travailleurs de la Pierre (CSTP).
Juin 1997 : numéro 1 des Temps maudits, revue théorique de la CNT ; première participation aux marches européennes contre le chômage (Amsterdam).
Décembre 1997 : mouvement des chômeurs avec les comités d’action chômeurs (CAC-CNT).
Janvier 1998 : cinq semaines de grève à la COMATEC (soutien international de 100 000 F).
Octobre 1999 : assassinat à Stockholm de Björn Söderberg, militant de la SAC (organisation anarchosyndicaliste suédoise).
1er mai 2000 : apparition publique importante de la CNT en région parisienne, manifestation, festival de cinéma, festival de théâtre, expositions, débats, concerts, meetings, rencontres internationales de branches, avec des milliers de participants.
Septembre 2000 : création de la fédération des travailleurs de la Santé et du Social.
1er mai 2001 : malgré l’opposition de la CGT (et de la police appelée à la rescousse), la CNT a pu participer en nombre au défilé unitaire à Paris.
Au-delà de l’énumération chronologique et des allusions aux activités proprement syndicales (qui sont au cœur des préoccupations cénétistes), il faut préciser que la Confédération est également présente dans d’autres domaines : culture, écologie, OGM, mondialisation, antifascisme, sans-papiers, libre disposition de son corps (manifestations contre les commandos anti-IVG), conditions de logement et de transport, etc., soit seule, soit au travers d’intersyndicales (j’espère que les compagnons qui ont animé de nombreux mouvements que je n’ai pas eu la place de citer – P et T à Nancy, dans les Yvelines, la Cogifer à Rennes, etc. – ne m’en voudront pas trop).
Cette activité multiforme correspond à la préoccupation permanente de la CNT, celle de joindre l’action syndicale à celle de la vie publique en général, en combinant les revendications immédiates aux postulats de son projet, celui du communisme libertaire
Yves Peyraut
CNT-Région parisienne, 33, rue des Vignoles, 75020 Paris - Tél. et fax : 01 43 72 95 34
Bureau confédéral, BP 72, 33038 Bordeaux cedex
Tél. et fax : 05 57 89 21 72
E-mail : cnt@cnt-f.org
& La Pratique d’un syndicat CNT dans une entreprise privée de nettoyage, la SPES, à Gennevilliers, édition UR-CNT-RP, 1994 ?
& Collection du Combat syndicaliste.
& Jérémie Berthuin, la CGT-SR et la Révolution espagnole, CNT-Région parisienne, 2000.
& Collectif, CNT aujourd’hui, CNT = nègres et rouges, brochure syndicaliste n° 7, CNT-Région parisienne, 2000.
& Orientation et fonctionnement, CNT-RP, 1990.
& Bulletin de la Fédération jurassienne, bibliothèque municipale de La Chaux-de-Fonds, septembre 1872.