Concernés par le néo-malthusianisme dès le début du xxe siècle, les libertaires ne se contentèrent pas de militer par la parole et par l’écrit, ils passèrent à l’acte à de nombreuses reprises. Le procès des stérilisés de Bordeaux de 1935 ne fut que la partie apparente et spectaculaire d’une intense activité clandestine. En effet, le chirurgien Bartosek n’opéra pas seulement en Gironde mais aussi dans de nombreux lieux de France, en particulier dans les milieux individualistes, qui suivaient peu ou prou les théories de E. Armand.
L’auteur de ces lignes peut témoigner qu’il eut connaissance de la vasectomie alors qu’il était très jeune par des camarades de la « communauté » anarchiste de Solliès-Pont dans le Var, dans les années 50.
Les témoignages étaient unanimes quant aux bienfaits de cette intervention, certains compagnons se vantant même de performances sexuelles accrues, mais dans ces années-là il semblait impossible de trouver un chirurgien acceptant de pratiquer cette opération bénigne.
Au début des années 60, avec plusieurs de mes camarades issus des Jeunesses libertaires d’expression française, nous nous attelons à cette recherche et, grâce à un ami italien réfugié en Suisse (objecteur de conscience, puis insoumis), nous entrons en relation avec un camarade chirurgien bulgare travaillant dans ce pays, qui accepte de répondre à notre demande.
Cette possibilité circulant de bouche à oreille eut pour conséquence une nouvelle vague de vasectomie dans le milieu libertaire, dont la plupart des participants étaient relativement jeunes.
Parallèlement, certains pratiquaient l’intervention volontaire de grossesse par injection intra-utérine, et ce, bien sûr, de manière tout à fait confidentielle.
Avant la loi Neurwith (1967), qui autorisa la divulgation et l’information sur les moyens anticonceptionnels, et, ensuite, la loi Weil (votée en 1974), qui permit les interventions volontaires de grossesse, nous étions sous le régime particulièrement répressif de la loi de 1920 qui interdisait toute information sur les moyens anticonceptionnels et qui prévoyait la peine de mort pour les actes concernant l’avortement.
La dernière exécution pour ce « crime » fut celle de Marie-Louise Giraud, guillotinée en juin 1943 sous le régime du maréchal Pétain.
La loi de 1920 avait pour but principal de favoriser la propagande nataliste, chère à l’église catholique, et mettre fin aux activités du néo-malthusianisme pour ainsi combler les vides en hommes créés par l’hécatombe de la guerre de 1914-1918.
Les anarchistes, et d’autres bien sûr, adeptes de la procréation consciente
ou partisans de la non-procréation n’avaient plus d’autre choix que de rentrer dans l’illégalité. Ce qui fut fait.
Pour mémoire, signalons toutefois que Paul Robin et Eugène Humbert se heurtèrent à l’incompréhension et à l’opposition du courant communiste libertaire, notamment de Kropotkine, de James Guillaume et de Jean Grave.
Par contre, les thèses néo-malthusianistes furent, dès le début, favorablement accueillies par les milieux individualistes. Nous les retrouvons souvent présentes dans les publications de l’En-dehors et de l’Unique, comme en témoigne les Principales tendances de « l’Unique », encart publié dans chaque numéro et que, à notre tour, nous donnons ci-après.
La recherche de l’autonomie ainsi que d’une plus grande liberté possible a souvent amené les anarchistes à privilégier l’« ici et maintenant » des luttes par rapport aux luttes révolutionnaires dont l’effet se situe dans l’avenir.
Outre les combats pour la diffusion des moyens contraceptifs, de l’avortement, de la vasectomie, nous les retrouvons luttant contre les pouvoirs de l’église, bien sûr le pouvoir économique, mais aussi contre des pouvoirs plus subtils et généralement mieux acceptés tel le pouvoir médical.
Le pouvoir médical, par l’intermédiaire du très réactionnaire Ordre des médecins, continue à interdire la vasectomie, sauf cas pathologique sérieux : ce qui n’empêche pas de trouver des praticiens qui acceptent d’intervenir mais qui exigent que le candidat soit marié ; qu’il ait le consentement de son épouse ; qu’il ait eu des enfants, et au minimum un fils ! Bref, une panoplie de barrières rendant la chose peu aisée. Heureusement qu’il reste des pays plus accueillants tels la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas.
De nos jours encore, semble-t-il, le pouvoir judiciaire hésite à sanctionner la vasectomie, je ne connais pas de poursuites pour ce motif.
Autre aspect du pouvoir médical, outre les sacro-saints protocoles de thérapies lourdes pour les cancers, notamment, le refus ou l’opposition aux médecines « naturelles », le refus ou l’étouffement de toute recherche ou découverte ne provenant pas des grands laboratoires et enfin l’opposition à l’euthanasie, passive ou active, réclamée, entre autres, par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (103, rue Lafayette, 75010 Paris) après que l’individu en a manifesté la ferme intention et refusé tout acharnement thérapeutique.
Là aussi, certains de nos amis, d’Alexandre Jacob à André Arru, n’ont pas attendu d’autorisation pour choisir avec un certain panache le moment de leur fin de vie et non plus de subir la déchéance de la maladie.
Beaucoup de luttes pour la libre maîtrise de nos corps se mènent donc dans l’immédiat, dans la bonne tradition de nos prédécesseurs, et ce en attendant de transformer le monde.
Marcel Viaud
& Norbert Bartosek, la Stérilisation sexuelle, avant-propos de Hem Day, édition Pensée et action, Bruxelles, s. d.
& Paul Robin, la Question sexuelle, 1908.
& Jean Marestan, l’éducation sexuelle, 218 000 exemplaires vendus en 1949.
& F. Ronsin, la Classe ouvrière et le néo-malthusianisme. L’exemple français durant 1914. Édition inconnue, 1978.
& Claude Guillon et Yves Le Bonniec, Suicide, mode d’emploi, interdit à la diffusion (les auteurs ont été condamnés pour cette publication).