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Introduction au texte de Philippe Garnier
« Le regard et la voix dans le flamenco »

Claude Orsoni

Article mis en ligne le 4 juin 2005
dernière modification le 11 juin 2005

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Si l’Andalousie est bien le terroir originel de l’art flamenco, les adeptes de ce dernier, artistes ou simples amateurs, les « aficionados », sont présents dans toute l’Espagne et, à l’étranger, sur tous les continents. Ils se réunissent dans des clubs plus ou moins fermés, les « peñas flamencas », et il n’est guère, en Espagne, de ville ou même de village qui n’en compte au moins une et souvent plusieurs. On en trouve à Londres, Bruxelles, Amsterdam, etc.

Elles ont coutume, depuis nombre d’années, de se réunir une fois l’an, en un congrès d’Art flamenco, où communications savantes de distingués flamencologues et spectacles de meilleurs artistes font vivre aux participants, qui se comptent par centaines, des jours et nuits mémorables.

La peña flamenca de Paris, Flamenco en France, fondée en 1979 par un groupe d’aficionados parisiens, certains d’origine espagnole*, eut la hardiesse, en 1993, de proposer que ce congrès annuel d’Art flamenco se tînt pour la première fois hors d’Espagne, à Paris, haut lieu traditionnel du flamenco depuis les années 30 et même auparavant. Rencontre retentissante, placée sous le signe du « Flamenco, art universel », et qui se déroula dans les salons de la Cité universitaire, pour le congrès, et dans la salle rénovée du théâtre du Trianon, pour les concerts et spectacles. Les congressistes habituels s’y retrouvaient dans un contexte peu familier, venus des localités les plus diverses et reculées d’Espagne et d’Andalousie, et quelque peu interdits par la ville et par les lieux.

Inhabituel également, fut le mode d’organisation, « scientifique », rigoureux, qui avait présidé à l’organisation du congrès, privilégiant les communications consistantes, novatrices, provocatrices parfois, tendant à écarter les discours lyriques ou creux qui marquaient si souvent ces rencontres.

C’est dans ce cadre que Philippe Garnier, adhérent ancien de Flamenco en France, proposa la communication qu’on va lire.

Son style comme sa démarche tranchaient avec les autres interventions, tout en respectant le souci commun à toutes d’éclairer les dimensions « universelles » de l’art flamenco (il suffit de se reporter aux Actes du congrès, consultables en ligne sur le site déjà nommé, ou dans le volume publié ensuite).

J’avais sur le moment été surtout frappé par l’originalité de cette démarche et l’effet déconcertant qu’elle produisait sur les congressistes, la plupart espagnols non francophones, mais disposant d’une traduction en castillan qui ne les laissait pas moins médusés. Et je n’étais, pas plus qu’aujourd’hui, suffisamment familier du registre analytique et lacanien, pour en saisir vraiment l’intérêt.

Je l’ai relu, après avoir moi-même, dans de tout autres circonstances, tenté d’éclaircir les « Arcanes du flamenco » dans un texte d’initiation*, et j’ai été frappé de la pertinence avec laquelle Philippe avait saisi certaines dimensions de cet art, qui avaient aussi attiré mon attention.

Ainsi par exemple :
- Le mystère de la parenté connue, et de la distance visible, entre les danses indiennes du Rajasthan, hiératiques plus qu’érotiques, et la « violence passionnelle », dit Philippe, « qui s’exprime souvent dans le flamenco ».
- La question de « cet homme qui se fabrique » par le flamenco, lieu « où s’exacerbe la question du sujet et de son désir », et qui, par là, est en mesure « de nous toucher si vivement ».
- La place si importante occupée
par le « public » et, au-delà, l’autre, le « tiers », à qui s’adresse l’artiste.
- La construction d’un espace-temps fait de tensions, ruptures, asymétries, syncopes et résolutions, se déployant dans des formules rythmiques d’une complexité effarante.
- La présence, plutôt que d’une « expression », d’une création qui traverse et dépasse l’artiste comme celui qui le regarde ou l’écoute...

C’est là la question du « duende », qu’on a souvent mentionné, décrit, plus rarement analysé, ce « démon » qui saisit à la fois l’artiste et son public et les plonge tous deux dans un état second, où le premier ne se reconnaît plus, où l’autre déchire ses habits dans une sorte de désespoir... et que Philippe ramasse dans un raccourci saisissant : « Le moment où “ça” chante dans un effacement du “je”... »

Je l’avais moi-même présenté, dans le texte mentionné, comme « un climat et une relation où les artistes comme le public se trouvent transportés au-delà de leur être habituel, et amenés à sentir ensemble un état fugitif, extraordinaire, de dépassement de leur condition physique et humaine : le duende, si ce terme a un sens. »
On ne saurait énumérer tous les thèmes stimulants et les expressions convaincantes qui parsèment ce court mais si riche texte de Philippe Garnier.

L’aficionado que je suis se bercera de l’espoir que parmi les lecteurs de Réfractions, certains, après lecture, verront, entendront, le flamenco d’une autre manière.

Claude Orsoni




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