La technologie est devenue l’objet d’un culte
par Renaud Garcia
Entretien inédit pour le site de Ballast
La mobilisation des gilets jaunes et la 5G, le dérèglement climatique et les fédérations libertaires, l’écofascisme et les zombies que nous serions devenus : quel est le lien ? Un philosophe, Renaud Garcia. Décroissant, il invite les partisans de l’anarchisme, du marxisme hétérodoxe et de l’écologie sociale à contribuer à la construction d’espaces populaires à même d’augmenter l’autonomie collective et individuelle. Son dernier essai, Le Sens des limites, a paru en 2018 : il réhabilite le quotidien, les affects et le sensible contre l’abstraction du capitalisme techno-productiviste et managérial — et propose une politique d’émancipation bâtie autour de communautés locales articulées.
Enthousiaste et lucide : voilà comment vous avez qualifié votre regard sur le soulèvement des gilets jaunes au mois de décembre 2018. Six mois plus tard, quel est-il ?
L’enthousiasme est toujours là. Ne serait-ce qu’en comparaison avec Nuit debout, voici un mouvement, bien moins « inclusif » et pénétré par les dernières trouvailles théoriques postmodernes1, qui n’a pas eu besoin des intellectuels pour s’organiser spontanément. Un mouvement également bien moins sympathique à la classe politique et journalistique. Par sa colère généreuse, il a réactivé les bases politiques de l’anarchisme : refus de la représentation et des porte-parole, critique radicale du gouvernement parlementaire, établissement d’un lieu ouvert — les « cabanes » — conférant une matérialité à la communauté, occupation ingénieuse et réhumanisante d’un non-lieu par excellence, le rond-point. Enfin, « conscientisation » par la pratique. Et pour ce qui est de la pratique, justement, on a pu noter lors des divers actes du samedi, dans de nombreuses villes et sous des formes différentes à chaque fois, un rapport à la violence tout à fait pragmatique et ciblé, ainsi qu’une façon proprement jubilatoire d’excéder les codes et habitudes des organisations syndicales, proprement médusées face à ce qu’un de mes amis nomme les « hordes d’or ».
Depuis, malgré un reflux — et encore, partiel en fonction des endroits — lors des manifestations, l’action des gilets jaunes a, me semble-t-il, fait sauter certaines digues auprès du grand public qui a sympathisé avec le mouvement : la conscience des exactions commises par la police de notre gouvernement « thatchérien de gauche » est désormais plus large, car documentée dans le détail ; la bêtise confondante de nos dirigeants ne l’est pas moins ; quant à la propagande médiatique, ses ressorts sont apparus plus nettement avec la couverture insensée des manifestations parisiennes.
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