« L’’institution hétéronome de la société et la religion
sont d’essence identique »
Cornelius Castoriadis
« L’’institution hétéronome de la société et la religion sont d’essence identique »
Cornelius Castoriadis
Le monde moderne a emprunté le chemin de la sécularisation, et les dieux l’ont définitivement déserté pour regagner leur néant.
On pourrait dire aussi que c’est la lente « sortie de la religion », à partir du XVIIe siècle, qui a permis à la modernité de penser une société où la volonté et la raison des hommes, aussi fragiles soientelles, sont la source de son institution. Sans garant extérieur, sans raison substantielle, sans principe transcendant, les humains sont livrés à la contingence de l’action politique qui deviendra ainsi la forme nécessaire de la « mise en sens » et de la « mise en scène » de l’espace social, de la vie collective.
En réalité, même sans le savoir, les hommes ont toujours construit leur cosmos, avec ou sans dieux, projetant dans l’au-delà l’origine et le sens de leur action, ou en assumant l’historicité de leur œuvre. La société instituante a été, est et sera la seule ressource de la signification du monde.
Mais, au sein de nos sociétés laïques où la religion aussi se privatise et se réfugie – si elle trouve un espace – dans « les consciences individuelles », nous sommes confrontés de façon périodique avec un supposé « retour du religieux ». Livres, journaux, magazines parlent d’un regain de spiritualité, d’un besoin de mystère, d’un désir d’ésotérisme. Ainsi on a pu écrire que « la perte d’emprise des institutions religieuses sur la société a pour effet de libérer un sacré sauvage, émancipé des codes traditionnels ».
En même temps, en France, des conflits d’autres origines – le voile islamique, la marginalisation socio-économique des enfants issus de l’immigration – se mélangent avec les intégrismes de religions de forme encore traditionnelle, qui deviennent conquérants, montés sur l’exploitation et l’oppression des peuples que la mondialisation du marché capitaliste condamne et massacre. La force qui propulse l’Islam à partir du Moyen- Orient vient de la spoliation, de la misère et de la lutte de classes. Même si les groupes dirigeants de ces mouvances participent déjà des conditions culturelles et économiques du monde sécularisé : ils sont éduqués dans les universités occidentales. Leur religion n’est pas seulement théocratique, elle est tout entière politique.
Cette impression généralisée d’un phénomène religieux qui revient au quotidien est, alors, le résultat de différents facteurs qui trouvent leur raison d’être dans des situations diverses sans relations causales entre elles.
Nous essaierons de nous occuper seulement des raisons internes aux sociétés sécularisées à partir d’une constatation, l’apathie politique des masses, et d’une réflexion engagée au hasard des lectures sur un commentaire de Castoriadis à propos de la mort en Grèce ancienne : « Il fallait que la démocratie s’effondre pour que l’immortalité positive de l’âme réapparaisse. » Mysterium tremendum Au préalable il faut déblayer un terrain largement encombré par la surcharge sémantique du mot religion. Beaucoup d’aspects psychologiques, sociologiques, anthropologiques, de la vie sociale, sont sollicités pour intégrer le système de croyances et de pratiques qu’un type de société appelle religieux. Comme dit Evans-Pritchard, « indigènes et missionnaires prononcent les mêmes mots mais ils n’ont pas la même signification. » Et ils n’ont pas le même sens pour des croyants que pour des athées. L’idée de religion recouvre ou contamine un large éventail de termes : les institutions religieuses, l’ensemble de croyances monothéistes ou polythéistes, les religions « révélées », bien sûr, mais aussi, le fétichisme, l’animisme, la magie, le totémisme, la « spiritualité », les « religions séculières », le sacré, le numineux, la croyance sans spécification, etc. Religieux et sacré sont des mots utilisés fréquemment de façon métaphorique sans faire référence à aucune transcen- dance : on dit des choses qu’on aime qu’elles nous sont sacrées, ou qu’on a une foi quasi religieuse dans ses convictions, en leur reconnaissant ainsi une valeur éminente, même s’il « n’y a rien dans ces relations qui soit proprement religieux », constate Durkheim.
Nonobstant, on peut se demander quelle est la « nature » des religions, quel est le trait commun qui unifie ce qu’on nomme religieux, ce qui concerne aussi bien les religions dites primitives que les religions actuelles.