Miguel Abensour demeure l’homme des questions intempestives. C’est l’aspect résolument libertaire de sa pensée que je voudrais évoquer, moins à partir d’écrits théoriques que par le rappel de sa présence dans le débat intellectuel. Une posture de résistance au conformisme frileux devenu norme dominante dans les années 1980.
Miguel Abensour, penseur libertaire
Monique Rouillé-Boireau
Cet article est paru en mai 2018 dans un numéro spécial de la revue Lignes consacré à Miguel Abensour
MIGUEL ABENSOUR | La sommation utopique
Contributeurs : Michèle Cohen-Halimi, Sophie Wahnich, Louis Janover, Anne Kupiec, Catherine Chalier, Patrice Vermeren, Antonia Birnbaum, Gilles Moutot, Florent Perrier, Monique Rouillé-Boireau, Christophe David, Daniel Payot, Damien Pelosse, Michel Enaudeau, Irving Wohlfarth, Simone Debout-Oleszkiewicz, Henri Lonitz.
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Miguel Abensour demeure l’homme des questions intempestives, donc essentielles. Ainsi il y a 25 ans, il écrivait dans cette même revue, un article sur ce que d’autres considéraient comme une question crépusculaire : l’utopie. Question intempestive donc, disait-il, « contre l’esprit du temps, inactuelle, autre que l’actuel », et donc, dirions-nous, indispensable à une pensée et une présence dans le maintenant. En effet, ce qu’apporte la pensée de Miguel Abensour sur l’utopie et l’émancipation c’est, non pas une alternative, mais une altérité, et on voit par là combien elle est précieuse pour ceux qui ne se résignent pas. C’est un contrepoids au formatage des esprits par le néo-libéralisme (« l’air que nous respirons », dit Jacques Rancière). Il ne s’agit pas en effet d’une anticipation planifiée de l’avenir, à peine d’un horizon, mais d’une autre lecture du présent : fondée sur des aspirations ; ni même d’un avenir désiré, mais d’un souffle émancipatoire qui change le regard et l’analyse. Et en cela, cet esprit libre qu’était Miguel Abensour, engendre une pensée profondément libertaire, en prise sur son temps.
C’est donc cet aspect résolument libertaire que je voudrais évoquer dans ces quelques lignes, moins à partir d’écrits théoriques, que par le rappel de sa présence dans le débat intellectuel, maintenue avec une belle constance. Une posture de résistance, donc, au conformisme frileux devenu norme dominante dans les années 1980, faite non pas au nom d’une nouvelle totalité à venir, mais alimentant au contraire une critique vigilante, pour éviter toutes les fermetures ; posture réflexive libertaire, lecture « de biais », sensibilité à l’écart, recherche de « constellations » ouvertes, de ce qui fait signe vers… Volonté aussi de débusquer l’aspect libertaire dans des pensées qui pouvaient en sembler éloignées (découverte d’un jeune Marx libertaire dans sa conception de la « démocratie vraie », et dans un « sauvetage par transfert » de l’utopie).
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