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Moins-que-rien de tous pays, solidarité
par Alain Thévenet

Les migrants sont des prolétaires. Quant aux « travailleurs sociaux », il leur appartient de savoir s’ils et elles se situent du coté́ des employeurs liés aux logiques du profit. Ou s’ils et elles sont solidaires des personnes qu’ils et elles ont rencontrées.

Article mis en ligne le 17 juin 2018
dernière modification le 11 septembre 2019

par Refractions
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Les migrants sont des prolétaires. Prolétarisés en arrivant, ou déjà moins-que-rien avant de partir.

Cet homme d’une trentaine d’années vient d’une ancienne colonie française, sous l’emprise aujourd’hui, comme beaucoup d’autres, de dirigeants dont le souci est de garder un poste lucratif, soutenus par des sociétés pétrolières (ou autres) appuyées par les gouvernements occidentaux, dans une âpre concurrence avec la Chine unissant l’héritage communiste le plus totalitaire au capitalisme le plus sauvage.

Poursuivant des études supérieures, il préparait une thèse qui l’amenait à se rendre fréquemment en France. Il était alors salué et respecté comme n’importe quel autre thésard. Mais il faisait partie de l’opposition, opposition politique doublée de tensions ethniques, comme dans beaucoup de pays africains. Cet héritage de la période coloniale a brisé les collectifs politiques antérieurs, basés sur des langues et des cultures différentes, et qui cohabitaient de manière plus souple.

Cet autre. à peu près du même âge vient, lui, d’une ancienne colonie d’un autre « puissance » européenne, qui supporte depuis quarante ans le pouvoir totalitaire d’un dictateur, au départ inféodé à l’URSS et qui a depuis suivi la Russie vers le totalitarisme et la corruption poutinienne. Aux dépens notamment de la santé et au profit des compagnies pétrolières. Ce qui l’a notamment décidé à entrer dans l’opposition c’est, entre autres raisons, le décès d’un frère cadet, mal soigné d’une gangrène qui aurait tout à fait être soignée, mais décédé à cause d’une faiblesse du système de soins, les richesse de son pays étant confisquées par une corruption endémique du pouvoir. Arrêté́ pour sa participation à plusieurs manifestations, il a été violemment torturé, subissant des sévices de toutes sortes. Il y a plus de deux mois, il a « bénéficié » des interrogatoires de l’OFPRA. En attendant les résultats, il dort dans un lieu qu’il partage avec d’autres migrants comme lui, qu’il réveille par les cauchemars bruyants.
Quand il arrive à s’endormir... Il a dû laisser au pays sa famille dont il est sans nouvelle.

L’un et l’autre faisaient auparavant partie d’une classe « moyenne », plutôt privilégiée, compte tenu de la misère endémique dans leurs pays. Ils sont aujourd’hui réduits à la condition de prolétaires au sens étymologique : ceux qui n’ont rien et qui sont réduit·es à deux préoccupations : manger, se reproduire. Ce qui selon Platon, dont Macron est ici un fidèle disciple, leur ôte toute capacité́ et tout droit à exercer quelque pouvoir que ce soit. Ceux qui décident pour tout le monde n’ont pas ces soucis vulgaires.

Je pourrais aussi parler de cette dame qui a dû quitter son pays, parce qu’une rencontre avec un compatriote d’une autre confession l’avait fait rejeter par sa communauté et sa famille.

Tous réfugiés, pour des raisons mêlées

D’autres sont venus ici en ayant déjà̀ ce statut de prolétaire. Poussé·es par la misère dans laquelle leur pays a été́ plongé par l’exploitation économique des « civilisés ». Et donc privé·es de leur culture. D’autres chassé·es par des guerres absurdes dont le prétexte politique n’était qu’un alibi aux rivalités économiques. D’ailleurs, la distinction entre les réfugié·es « politiques » (théoriquement admissibles au droit d’asile) et réfugié·es « économiques » rejeté·es est pure hypocrisie, le politique et l’économique étant forcément imbriqués.

De plus en plus nombreux, les mineurs isolés (majoritairement des garçons, mais les quelques filles dans cette situation ont des itinéraires et des motivations semblables. La plupart venus d’Afrique sub-saharienne par des voies un peu mystérieuses sur lesquelles ils ne s’appesantissent pas : bloqués dans une forêt au Maroc ou dans des entrepôts en Lybie, soumis à des sévices multiples, puis la traversée de la Méditerranée avec tous ses risques. Ils ne sont pas partis par plaisir, par goût d’aventure (ce serait, après tout, une motivation adolescente plutôt sympathique) mais par l’impossibilité́ « chez eux » de mener une vie correcte. Une vie d’enfant.
Tous sont donc des prolétaires, des moins-que-rien. Ou des « sans-part », selon l’expression du philosophe Jacques Rancière. En trop, où qu’ils se trouvent.

Les mêmes ennemis

Traditionnellement, les syndicats se donnent pour mission de défendre des travailleurs·euses, ce qui exclut intérimaires, chômeurs·euses et donc les migrant·es sans papiers. Avec l’évolution (inéluctable aux yeux de ceux qui en profitent), travailleurs en CDI et fonctionnaires sont devenus en quelque sorte une classe moyenne, « admis » dans la sphère du politique par le biais entre autres, des négociations syndicales : ils ont le droit de parler, de protester, même si ça ne sert à rien. Ainsi, beaucoup ont l’impression (certains le disent) que la lutte des classes, cela ne veut plus rien dire. Leur principal souci, c’est de grimper dans la hiérarchie. Accros à la compétitivité, ils sont à l’opposé de toute solidarité́. Presque plus solidaire de leurs patrons, des banquiers et des politiques que de tous ceux dont la peau est peut-être plus foncée que la nôtre. Objectivement, ces travailleurs·ses « intégré·es » font cependant partie de la classe des prolétaires, pouvant à tout moment perdre leur statut et leur relative et illusoire intégration. Il n’y a pas de « classe neutre », pas d’impartialité́ possible. Cependant, explicitement ou par résignation, beaucoup ne veulent pas prendre parti, déjà soumis aux politiques macronistes libérales, ou pensant ne pas avoir le pouvoir de refuser.

Quant aux « travailleurs sociaux », il leur appartient de savoir s’ils et elles se situent du coté́ des employeurs liés aux logiques du profit. Ou s’ils et elles sont solidaires des personnes qu’ils et elles ont rencontrées.

Un syndicat révolutionnaire ne peut qu’être solidaire des travailleurs·euses, et des prolétaires qu’on cache, qu’on rejette, en les présentant comme une menace. Les un·es et les autres sont lié·es par la même exploitation et ont les mêmes ennemis. Tou.tes ont la même arme : la solidarité de classe.

Alain, Sanso 69

le Combat syndicaliste juin 2018

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