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Anarchisme et Non-Violence ,un groupe, une revue 1964-1974
André Bernard
Article mis en ligne le 25 mars 2005
dernière modification le 19 novembre 2018

En avril 1965 paraissait une petite revue de 32 pages (format 13,5 x 21 cm) intitulée Anarchisme et Non-Violence.

On apprenait dès le numéro 1 que les animateurs ne se proposaient nullement de créer une nouvelle tendance dans le mouvement libertaire : leur projet consistait à mettre en valeur l’idée de « non-violence », idée présente dans la culture anarchiste, mais insuffisamment exprimée et peu mise en pratique selon eux. Ils se refusaient à choisir entre les divers courants anarchistes : l’individualisme, le communisme libertaire, l’humanisme, le pacifisme, etc. Ils se déclaraient anarchistes avant d’être « non violents » et partisans de la non-violence parce que anarchistes. Il ne s’agissait en aucune façon de condamner les pratiques violentes passées ou encore présentes, mais d’y renoncer avec la volonté de concrétiser les idées-forces de l’anarchisme par l’action directe non violente.

Un texte (Quelques données fondamentales) avait été écrit collectivement et servait de plate-forme à l’équipe qui s’engageait dans cette aventure.


Quelques données fondamentales

– Les structures de la société actuelle sont essentiellement étatiques ; elles ne peuvent se maintenir que par l’autorité et la violence.
– Les anarchistes préconisent la disparition de l’état ; ils proposent une société sans autorité où la violence ne se manifesterait plus dans les rapports sociaux.
– Face au pouvoir et à l’autorité, les anarchistes ont apporté des solutions libertaires (fédéralisme, syndicalisme, etc.) ; mais en opposant la violence à la violence, ils l’ont ainsi légitimée.
– De toute façon, devant le gigantisme actuel des forces répressives et la mise en condition psychologique, la violence insurrectionnelle paraît impuissante.
– Les méthodes non violentes paraissent être le moyen d’action le plus conforme aux théories anarchistes ; elles constituent une force qui permet d’éviter les conséquences autoritaires de la violence.
– L’action directe non violente a surtout été utilisée par des groupements religieux, généralement avec succès, mais la non-violence n’est pas plus d’essence religieuse que la violence est anarchiste et athée. C’est pourquoi il est nécessaire d’étudier et de mettre en pratique ces formes d’action.

Nous posons donc la primauté de la non-violence et estimons que le ralliement à « Anarchisme et Non-Violence » devrait impliquer l’emploi de la non-violence tant dans l’action sociale que dans le comportement individuel.*

* Ce texte a été reproduit dans chaque numéro jusqu’au numéro 13 inclus (avril 1968). Une seconde version en a été publiée dans le n° 24.

« Il nous faut débarrasser la non-violence de la religion, sinon nous nous débarrasserons de la non-violence. » (Courrier d’André, 1964)

Lors des diverses actions non violentes contre la guerre d’Algérie, le discours sur les fondements de la non-violence n’était pas du goût des « incrédules » qui ont constitué un Groupe d’études laïc sur la violence et la non-violence.

« Un certain nombre d’amis […] se sont retrouvés, […] tous animés par un souci commun :
« 1° Prendre position publiquement
face à des événements qui constituaient
des attentats caractérisés à la dignité humaine : guerre colonialiste d’Algérie et toutes ses conséquences : tortures, viol des consciences, désarroi d’une grande partie de la jeunesse, ferments de guerre civile, renaissance de tendances fascistes et racistes…
« 2° Tenter si possible par des actes concrets, individuels et collectifs, d’influer à leur niveau sur le cours de ces événements et sur les responsables des divers camps pour qu’arrivent à se dégager des solutions en dehors du cycle infernal des violences. »
Ces gens « se sont retrouvés […] momentanément dans un cadre assez précis : la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, à vocation ouvertement religieuse et aux méthodes d’action résolument non violentes, dans la ligne tracée par Gandhi. […] Liés par les nécessités de l’action du moment qui ne souffrait aucune discussion ni retard […], ils pensaient à juste titre que l’heure n’étaient pas aux contestations de principes mais à une recherche d’efficacité pratique. »

La guerre d’Algérie terminée, « le moment est maintenant venu de tenter
d’y voir plus clair sur les motifs de notre engagement […] ». Il ressort « que la non-violence peut être envisagée dans ses fondements de manière assez différente selon les familles spirituelles. En particulier ceux d’entre nous qui se réfèrent à une pensée athée ou agnostique peuvent ressentir un malaise non plus sur le plan de l’action mais sur celui des principes […]. Cet état de fait […] amène par exemple à se poser diverses questions parmi lesquelles celle-ci, à nos yeux fondamentales :
« La non-violence peut-elle être envisagée en dehors de toute religion ? »

« Nous ne sommes pas persuadés en effet que la violence doive être irrémédiablement assimilée au Mal en soi et chargée de tous les péchés du monde. Il n’est pas impossible – mais la démonstration reste à faire – que la violence contienne des aspects positifs, inscrits dans la nature humaine et qui mériteraient d’être redécouverts objectivement en recherchant avant tout quelle utilisation pratique il pourrait en être fait. Autrement dit, hommes de notre temps, nous n’acceptons ici aucune donnée traditionnelle ou soi-disant « révélée » avant d’aller y voir de plus près.

« Pour un approfondissement »,
(quatre pages, en supplément au n° 20 de l’Action civique non violente).

Janvier 1964

Quelques textes furent publiés ainsi que des résultats d’enquête, puis l’affaire tourna court…

Mais cela permit à quelques libertaires de se reconnaître et de se rencontrer. Dans une circulaire de (juillet) 1964, intitulée « Projet de base pour la formation d’une union anarchiste d’études et d’action non violente », on trouve les éléments de ce que seront les Données fondamentales.

Octobre 1964 : réunion informelle à Villemomble entre quelques copains libertaires.
Décembre 1964 : première réunion de travail à Roanne où sont invités les anarchistes connus pour avoir participé à des actions non violentes ainsi que des objecteurs de conscience connus comme anarchistes.

Cependant, ces initiateurs étaient dispersés géographiquement. Aussi, très rapidement, se fit jour l’idée d’un bulletin de liaison. Il n’était alors nullement question de créer une revue, projet trop ambitieux.

La revue se fit pourtant parce que quelques copains travaillaient dans l’imprimerie et aussi, il faut le dire, par goût d’une publication bien faite, modeste, mais surtout pas misérabiliste. La revue sera « trimestrielle », du moins administrativement. Dès le départ, le choix fut fait de ne pas lancer de souscription, mais de ne compter que sur l’engagement financier des initiateurs jusqu’à l’autofinancement par les abonnés.
Février 1965 : rencontre au Castellet et élaboration du premier numéro de la revue qui, ainsi lancée, disposait de six correspondants locaux dispersés en France, en Belgique et en Suisse. L’idée prenait corps.

Anarchisme et Non-Violence compta trente-trois numéros sur une durée de presque dix ans. Un numéro faisait le plus souvent 36 à 48 pages ; quelques-uns ont été plus copieux. Abonnements en progression régulière de 25 (en avril 1965) à 394 (en mars 1972). Tirage en progression régulière de 500 (avril 1965) à 1600 (février 1969), avec un tirage à 3000 (octobre 1969, n°18-19, 48 pages, en coédition avec le Centre international de recherches sur l’anarchisme de Lausanne).

Anarchisme et Non-Violence adhère, à partir du n° 11-12, en tant que publication associée, à l’Internationale des résistants à la guerre, dont le siège est à Londres, et, à partir du n° 26, en tant que membre collectif, au CIRA.

En parallèle, plus d’une cinquantaine de bulletins intérieurs, bulletins d’information, circulaires furent diffusés, doublés à partir de décembre 1967 par des bulletins de travail qui rendaient compte des discussions théoriques entre les membres du groupe ainsi que des travaux en cours. Des rencontres (environ deux douzaines) et des campings (une demi-douzaine) se tinrent deux ou trois fois par an.

Un groupe de partage

Parallèlement à la trésorerie de la revue fonctionnait la Solido : caisse de solidarité permanente à base de contributions volontaires et régulières qui finançait les différents engagements, les actions, etc. Fait notable, cette caisse fonctionna longtemps avec un budget non négligeable pour l’époque. Engageant la responsabilité de chacun des participants, elle évita de recourir aux souscriptions habituelles lassantes pour les lecteurs.
Une péréquation des dépenses (prix des voyages, repas, etc.) sera toujours recherchée, non pas sur une base égalitaire (les copains étant inégalement nantis et certains sans argent), mais selon un principe d’équité, selon les possibilités réelles.

Un groupe où on s’écoutait

Très rapidement, une conscience forte des problèmes de leader s’est révélée. L’accent est mis sur les difficultés que pouvaient éprouver certains à s’exprimer soit oralement soit par écrit, et sur les moyens d’y remédier.

Avec le temps, grâce à des références identiques, un langage commun put s’installer lors des campings et des rencontres de travail et d’amitié, et aussi par le moyen des bulletins intérieurs, plus spontanés que la revue. Cette écoute, fruit de la volonté collective de recherche d’une méthode de travail efficace, fonctionna pendant la quasi-totalité de la vie du groupe. Banale en soi, mais rare dans la mouvance libertaire, elle permettait à chacun de s’exprimer, minimiser le rôle des leaders et, dans la pratique, éviter les conciliabules, les interruptions, la monopolisation de la parole ; bref, apportait à nos séances de travail une originalité satisfaisante sans pour autant brimer la spontanéité, chose quoi qu’on dise relativement rare dans les groupes.

Les protagonistes

Hem Day, le plus âgé, avait déjà un passé anarchiste de militant de la non-violence. Il publiait à Bruxelles, depuis de nombreuses années, des textes sur Gandhi, B. de Ligt, Vinoba, etc. La génération au-dessous était issue essentiellement des Jeunes Libertaires. Certains avaient été insoumis puis objecteurs de conscience. Ensuite, d’environ dix ans moins âgée, une génération d’objecteurs qui découvrait, en même temps, et la non-violence et l’anarchisme.

Quelques personnes avec un parcours individuel particulier gravitaient autour de la publication. L’ensemble comptait une trentaine de personnes.

Les remises en cause

Certaines sont venues de l’extérieur de notre groupe. La qualification « non violente » fera que, en général, les anarchistes ne nous accepteront pas réellement, nous jugeant manichéistes ; certains nous accuseront d’infiltrer une pensée religieuse au sein du mouvement. De l’intérieur du groupe, les remises en cause furent multiples, et il est difficile de dire les plus importantes si l’on pense à nombre de facteurs irrationnels, affectifs et caractériels. Mais, Anarchie oblige ! personne ne tenta de monopoliser le pouvoir qui fut partagé jusqu’à la fin.

à cause d’une volonté d’ouverture affirmée, associée au souci d’intégrer les apports extérieurs, les divergences se feront jour jusqu’à la crise finale.

Les méthodes de travail, la difficulté à produire des textes, un discours, à théoriser, de même que les différents engagements pratiques non complètement partagés par tous seront à la longue des facteurs de désunion.

À noter la création d’un « groupe Femmes » après 1968 et la participation de plusieurs d’entre nous à des expériences communautaires plus ou moins éphémères.
Le groupe, sans doute, n’a pas eu le temps de faire siens certains apports trop précipités, il n’a pu « digérer » un trop-plein. Ne sachant comment se sortir d’un écheveau très emmêlé, on a taillé à grands coups de ciseaux.

Le titre constituait pour certains comme un blocage intellectuel. Une remise en cause partielle ou totale de la non-violence et de l’anarchisme se fit au profit d’une analyse plus globale de la société sans aucun à priori éthique, mais sur des bases plus situationnistes ou marxistes de conseil.

Dans le processus de désintégration, faut-il dire l’échec de tel ou tel à faire passer ses options et à les mener à terme, échec projeté sur le groupe ?

Personne ne proposa, ne voulut ou ne put tenter une mutation.

La lassitude était grande…

André Bernard

Ont participé à différents niveaux à la revue et au groupe ANV :

Patrice Antona, Anita et André Bernard, Jean-Pierre Bertrand, Daniel Besançon,
Pepe Beunza, Claude Borgne, Claude et Michel Bouquet, Christian Carré, Joël Chapelle, Jean Coulardeau, Michel David, Hem Day, Germaine et Alain Depoorter, François Destryker, Bruno Dulac, Denis Durand, Jean-Michel Fayard, Armel Gaignard, Lucien Grelaud, Christian Heck, Gaston Jambois, Janin, Marie Laffranque, Jean Lagrave, Rose-Marie Lagrave, Jean-Pierre Laly, Claude Le Scribe, Jean-Pierre Machy, Marie Martin, Dominique Marty, Christian Mériot, Marie-Christine Mikhaïlov, Maurice Montet, Jacques Moreau, Dominique Morel, René Nazon, Bernard Péran, Philippe Poggi, André Portal,
Paul Sempé, Pierre Sommermeyer,
Michel, Tepernowski, TG, Jacky Turquin, Dominique Valton, Bernard Vandewiele, Michèle et Marcel Viaud, collectif, etc.